Page:Tinayre - La Rancon.djvu/167

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un astre voilé, il se levait à l’horizon des mers sonores. Toutes les âmes étaient baignées dans leurs ondes et dans sa lueur.

Jacqueline s’approcha du piano, au bras de Lussac. Plus douces que les violons, plus pénétrantes, leurs voix s’unirent, timbre de bronze et timbre d’or mêlés aux timbres d’argent d’un chœur de jeunes filles. La chaleur augmentait. Étienne, rapproché de la baie, souleva la draperie. La nuit magique poétisait un paysage de banlieue, des toits grisâtres, des cheminées pareilles à de noires colonnes inégales, des façades lointaines trouées de lueurs. Le croissant déclinait, énorme, comme une faucille d’or rouge. Le soupir nocturne de Paris montait. Le cœur d’Étienne défaillit de tristesse. Derrière lui, des rires légers s’égrenaient. On passait des plateaux, et l’argent des cuillers tinta sur le cristal et la porcelaine. Chartrain se détourna. Jacqueline, debout près du piano, inquiète, chercha son regard. Il la vit extrêmement pâle, les pupilles dilatées, l’iris vert de ses yeux diminué jusqu’à n’être plus qu’un cercle imperceptible. Elle semblait malade et plus belle, si belle qu’Étienne sentit le désir allumé dans les regards des hommes, et, dans ceux des femmes, un feu contenu et jaloux. Su-