Page:Tinayre - La Rancon.djvu/173

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puissant levier des volontés humaines, m’aurait permis d’accomplir. La nature m’a tendu son piège éternel dans la beauté de Jacqueline. Ai-je été lâche ? Je ne le crois pas. J’ai été faible seulement. Et puis est-il deux absolus ? Ce qu’on appelle sensation, plaisir, tendresse, forme un tout indivisible : l’Amour. Le mutiler, n’est-ce pas l’abolir ? L’âme simple de Jacqueline a senti le leurre de l’idéal platonique. « Mettons tout l’amour dans notre amour. Qu’il soit complet ou ne soit pas. » Elle a formulé spontanément la loi de la passion et elle l’a acceptée. Pouvais-je lui résister encore ? »

Tout disparaissait quand elle était près de lui, entre ses bras, dans la petite chambre close et fleurie. Avec leurs courbes fines, leurs robes rayées de guirlandes, les meubles avaient des grâces d’aïeules. Au pied du lit, les deux sphinx de bronze retenaient des reflets errants, et le miroir, un peu terne et verdi dans son cadre dédoré, évoquait la profonde douceur d’une eau verdâtre. Étienne et Jacqueline ne discutaient plus leur félicité, prisonniers dans le présent comme dans une île enchantée. Enivré, il découvrait en elle le plus admirable instrument d’amour. Un génie inconnu galvanisait ce corps fragile, allumait