Page:Tinayre - La Rancon.djvu/175

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Par les mêmes allées où ils avaient passé naguère, Étienne et Jacqueline gagnèrent Velizy. Ils retrouvèrent la tonnelle en forme de ruche, la table rustique, le vin rose, et dans leur joie ardente se leva le souvenir du timide amour. Ils se rappelèrent leur déjeuner du dernier printemps, à cette même place, la halte dans le ravin, les jacinthes enchantées et le baiser qui avait failli les faire amants. C’était le passé ; déjà Étienne ne l’évoquait pas sans mélancolie, mais la jeune femme riait de tout et d’eux-mêmes. Elle avait dix-sept ans ce jour-là et ses boutades, ses espiègleries, sa verve taquine exercèrent la patience de Chartrain.

Il s’efforçait de se mettre à l’unisson, mais la gaieté de Jacqueline, qui le rajeunissait parfois comme un philtre, résonnait faux dans son âme. Vainement il s’excitait à sourire ; Jacqueline, grisée par l’air vif, l’amour, la liberté, la jeunesse joyeuse, ne devinait pas l’humeur plus grave de son amant.

Pourquoi Chartrain semblait-il moins heureux que la veille ? Moins heureux, il ne l’était pas. Mais il souhaitait une heure de confidences à mi-voix, un entretien sérieux et doux. S’il comprenait les violences de la passion, il n’en pou-