Page:Tinayre - La Rancon.djvu/197

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chance de bonheur ? Car si cet amour avorte dans la médiocrité commune, s’il aboutit au désastre d’une trahison, l’avenir ne garde ni ressources d’oubli, ni consolations possibles.

L’excès même de la passion d’Étienne eût exigé, pour n’être jamais douloureux, cette part d’illusion qu’il n’y pouvait plus mettre. Il connaissait son amie assez bien pour l’apprécier, trop bien pour ne rien craindre d’elle. Le mot de l’Imitation : « Amor vigilat », fut sa devise. Son amour veillait, en effet, mais les moindres incidents, grossis par une imagination inquiète, alarmaient ce tremblant amour. Pendant une période féconde en troubles, Étienne s’ingénia à gâter son bonheur, Jacqueline ne surveillait ni ses allures ni son langage, n’attachait aucune importance à des plaisanteries qu’Étienne croyait préméditées. La Rochefoucauld a dit fort justement que les amants qui ne se querellent jamais ne s’aiment pas. Étienne et Jacqueline se querellèrent pendant les premiers mois de leur liaison. Ils étaient de ceux qui veulent se posséder jusqu’à l’âme, et, de même que la possession physique, la conquête réciproque des esprits prend parfois le caractère d’un combat où des coups involontaires font blessure.