Page:Tinayre - La Rancon.djvu/243

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avec un accent qu’il trouva singulièrement dur dans cette bouche chérie. Je ne devais, je ne pouvais pas quitter mon mari malade…

Et elle ajouta, regardant la terre :

— Je ne l’ai que trop abandonné.

Le cœur serré, Chartrain répondit :

— Faites votre devoir. Je ne saurais vous en blâmer, Jacqueline.

Elle devina sa tristesse, et de sa voix d’autrefois :

— Étienne, je ne t’oublie pas. Prenez patience, ami chéri.

— Je t’aime tant, fit-il. Je t’aime jusqu’à la déraison, jusqu’à la torture.

Sans désunir leurs bras, ils montèrent l’étroite ruelle en pente raide qui mène à la porte du bois. Le ciel nuageux s’éclaircissait. La lune errait sans éclat dans un chaos de vapeurs flottantes. En quelques minutes, Étienne et Jacqueline se trouvèrent sur la lisière de la forêt. De jeunes chênes, hauts déjà, balançaient leurs têtes effeuillées, dessinant sur des fonds confus et sans couleur l’indécise guipure des ramilles. Des oiseaux de nuit volaient, et soudain, dans quelque flaque de pluie, au creux d’une sente profonde, la clochette indécise d’un crapaud tinta, claire et cristalline.