Page:Tinayre - La Rancon.djvu/270

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rêvèrent d’embrasser leur bonheur fugitif, de le retenir entre leurs mains, leurs poitrines et leurs lèvres. Mais ils avaient prononcé les mots irréparables. Ils ne pouvaient plus oublier.

La vie, une dernière fois clémente, leur accorda un jour de répit. Novembre allait finir, et, tardif et tiède, se prolongeait l’été de la Saint-Martin. Chartrain ramena Jacqueline dans la forêt de leurs amours. Ils reconnurent chaque sentier, chaque tertre vêtu du velours des vieilles mousses, et par les carrefours du Pavé, sur les Avenues, ils marchèrent, un fantôme se levant à chacun de leur pas. Vers trois heures, ils s’arrêtèrent sur la lisière de Chaville, dans une petite auberge bâtie tout contre la voie du chemin de fer. Un jardin de curé, bordé d’espaliers, divisé par les buis en plates-bandes régulières, montrait ces fleurs naïves que l’on ne cueille pas et qui décorent seulement les parloirs de communautés et les autels de village. Une bonne femme à l’accent provincial, coiffée d’une mousseline neigeuse et pareille à une vieille fée, servit du lait, des fruits et du pain noir. Vite familière, en préparant la table sous la tonnelle, elle se plaignit de la saison qui éloignait les Parisiens. Elle appela le barbet brun, la sournoise petite chatte jaune qui guettaient les