Page:Tinayre - La Rancon.djvu/38

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sous une feinte tendresse. Froide de cœur et de sens, âpre calculatrice, elle jouait l’amoureuse enivrée pour mieux asservir son amant. Quand elle sentit faiblir la passion d’Étienne, elle excita sa jalousie. Mais il perçait ses desseins. Il rêvait de s’arracher d’elle. Tous deux connurent les scènes déshonorantes où les soupçons croissent à chaque serment nouveau, où la volupté des réconciliations charnelles laisse une rancœur de dégoût.

Nerveux et sensible, Étienne s’exaspéra. Il avait mis de grands espoirs en Jeanne. En quelques mois, il la vit telle qu’elle était, avec sa mesquinerie, ses bas calculs, prête à tout pour arriver au mariage. Elle lui fut odieuse ; il souhaita la fuir. Mais si peu, si mal que ce fût, il l’avait aimée, et il avait pitié de sa misère morale, de l’incertitude de son avenir. Il lui accorda des délais, la croyant fidèle, et tremblant de la rejeter à la boue de la demi-prostitution qui attend les déclassées. Il rompit pourtant, le jour où il eut la certitude qu’un autre partageait les faveurs de Jeanne et coopérait au budget. Écœuré, il la quitta et se jeta dans le travail, résolu à bannir la femme de sa vie.

Mais on ne ment pas à sa nature. À l’apogée de cette seconde jeunesse qui a la mélancolie des fins d’été, Étienne sentait parfois qu’il n’est pas