Page:Tinayre - La Rancon.djvu/93

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

car elle était trop jeune encore et trop naïve pour distinguer le trouble obscur des sens dans les émotions de la tendresse. L’âge de Chartrain et son caractère lui paraissaient fort rassurants. Parfois même, l’extrême réserve d’Étienne l’agaçait. Elle mettait une coquetterie enfantine à se faire adorer ou désirer par cet homme qui lui inspirait de la tendresse, du respect, et une sorte de crainte. Elle lui disait :

— N’est-ce pas que je suis laide ?… Vous me trouvez laide…

Étienne, tourmenté de scrupules, vit avec angoisse le prochain départ de Vallier. Il répugnait à jouer le vilain rôle du monsieur qui prend la femme d’un ami absent, et il le fit entendre à Jacqueline. Elle se fâcha tout net :

— Est-ce moi, dit-elle, qui ai décidé Paul à ce voyage ? Il en est ravi. Il ne me regrette pas. Dois-je, parce qu’il s’amuse en Amérique, renoncer aux seules douceurs vraies de ma vie ! Et d’ailleurs, me croyez-vous si faible, si facile, que je ne sache pas me garder moi-même et que je sois prête à tomber dans vos bras ? Vous n’avez pas d’estime pour moi, je le sens bien. Vous ne me ménagez guère. Vous êtes indifférent, aigre et dur…