Page:Tinayre - La Rancon.djvu/99

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les paupières, la joue qu’on ne lui refusait pas. Son baiser, plus tendre chaque jour, n’hésitait qu’au coin des lèvres, à cette place qui semble le seuil de la volupté et que l’amour effleure en tremblant, avec un vertige d’abîme. Et c’était, entre des jours d’enchantement, des nuits troublées, des soirées amères, où la conscience de Chartrain se révoltait. Une jalousie indécise pointait déjà dans ses remords : « Jacqueline appartient à un autre. Elle ne m’appartiendra jamais. »

Cette pensée qui gâtait ses meilleures joies, Étienne la repoussait quand il se trouvait seul avec son amie. Par ce matin d’avril, quand le train, dépassant les talus pelés de Vaugirard longea l’aimable vallée de la Seine, les vertes lisières des bois de Meudon, il céda au bonheur de se sentir jeune, amoureux, et aimé. Jacqueline avait, ce jour-là, de contagieuses gaietés d’écolière en vacances, et sa robe de foulard bleu marine, sa capeline d’aïeule, ses bandeaux moirés, sa taille mince, évoquaient le souvenir des grisettes aux guinguettes d’Antony.

— Regardez donc, disait-elle en montrant un couple bourgeois monté à Clamart dans leur compartiment. Ces braves gens ne me croient pas mariée. Je représente pour eux le vice, l’irré-