Page:Tinayre - La Rebelle.djvu/109

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luisant sortaient, par douzaines, les rubans tricolores et les pièces de cent sous… Et les petites bonnes, les ouvrières, toutes peines oubliées, la bouche entr’ouverte et les yeux ronds, contemplaient ce M. Bonnafous qui avait fait rire le Pape !

— Elles l’admirent, dit Josanne à madame Platel, moins pour son talent que pour son beau physique… Elles reconnaissent en lui leur idéal : le monsieur bien mis, distingué, et qui sait « causer aux femmes »… Voyez leurs yeux émus d’amour ! Chacune croit retrouver en monsieur Bonnafous un trait de l’amant qui l’a perdue.

Elle parlait avec un accent d’ironie et d’âpreté qui choqua madame Platel :

— Comme vous êtes sévère !… Oui, monsieur Bonnafous représente un idéal médiocre, mais on a l’idéal qu’on peut avoir, et c’est déjà très joli d’en avoir un. La fille qui avait une « doutance » sur un monsieur Camille n’avait pas d’idéal, soyez-en persuadée… Femmes du monde ou filles du peuple, nous nous prenons toutes au charme d’un regard, au son d’une voix, à des mots tendres… et nous croyons que c’est le grand amour…

Ses beaux yeux désabusés regardaient bien loin en arrière, dans ses souvenirs… Elle posa sa main sur la main de Josanne.

— C’est le mirage de l’amour, vous le savez bien, chère madame… Et pour ce mirage, on souffre, on meurt… Quelquefois l’amour, le vrai, traverse notre vie, et le mirage se dissipe… mais il est trop tard… On est vieille… Et l’on n’a aimé que des apparences, des mots, des gestes…