Page:Tinayre - La Rebelle.djvu/117

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Son âme se délivre enfin. À force de gémir : « J’ai mai ! J’ai mal ! » son mal s’apaise.

Voici les lumières mouvantes des voitures, un tramway, un autre, un autre, mammouths métalliques à l’œil rouge ou vert. Voici le quai, la berge en contrebas, les arches du viaduc éclairées par-dessous. Le ciel est violacé sur les collines invisibles de Meudon ; un peu de pourpre s’extravase dans ce violet sombre, — et la Seine est toute noire, avec des traînées brillantes, comme une huile d’or répandue çà et là. La Tour Eiffel, arc-boutant ses quatre racines, dresse son arbre de fer dont la pointe, parmi les nuages, allume tout à coup sa fleur de feu. Et, répondant au signal, la Roue gigantesque fait tourner un cercle obscur dont on ne voit rien, qu’un pointillement d’étoiles.

Des trains passent. Des fumées rougissent sur les hautes cheminées. Appels de trompes, tintements de clochettes, plaintes déchirées des sirènes, grelots éparpillés, sifflets aigus se mêlent aux mille reflets, aux mille frissons des eaux et des ombres. La Ville qui flamboie sous le ciel triste, les formes démesurées qui surgissent, ces clameurs de forge, ces lueurs d’enfer accablent Josanne, hors des ténèbres et du silence. Elle ne reconnaît plus rien. Perdue dans un monde obscur et monstrueux, elle souhaite la chambre close, la lampe, les livres, un visage ami.

Six heures. Le ponton oscille, surchargé de gens qui attendent, et le bateau se coule tout au long, comme une bête vivante, avec un clapotement. La foule emporte Josanne. Elle est dans la cabine, pressée, étouffée, entre une grosse dame et un vieil ouvrier qui dort.