Page:Tinayre - La Rebelle.djvu/191

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tion d’attente, d’étouffement, et ce désespoir nostalgique que les printemps d’autrefois lui apportaient.

— Quoi ?… Qu’avez-vous ? dit Noël.

Il regarda les yeux rouverts de Josanne, ces yeux qui avaient vu des choses, des scènes, des visages que lui ne connaîtrait jamais, ces yeux mystérieux et si beaux, d’un bleu obscur, où passaient des ombres, des ombres…

Et il les regarda tant, ces yeux, que sa pensée, attirée et repoussée, vacilla, prise de vertige devant l’inconnu, et tomba tout à coup dans un abîme…

— Non, dit-il, non, je ne peux pas vous comprendre… Je suis votre ami, votre seul ami, dites-vous. Il y a deux mois que nous nous voyons, presque chaque jour. Je connais votre logis, vos livres préférés, et les fleurs qui vous plaisent, et la musique qui vous fait pleurer. Je connais le dessin de vos gestes, les modulations de votre voix, l’éclat variable de vos yeux. Je connais votre fils, que je n’ai pas vu, votre tante, vos amis de Chartres, les dames Chantoiseau, le bon chanoine et les morts mêmes qui vécurent près de vous… Mais vous, mon amie, je ne vous connais pas.

Elle ne répondit pas. Il vit qu’elle palissait et que les sombres fleurs de ses yeux devenaient plus sombres, presque noires au-dessus des violettes. Elle pressait le bouquet contre ses lèvres et respirait d’un souffle inégal et fort… Comme elle était émue !…

— Nous sommes jeunes, dit il encore, et il y a tant d’années, pourtant, derrière nous… Votre vie ! ma vie !…

Elle l’écoutait, inquiète.