Page:Tinayre - La Rebelle.djvu/294

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

« Elle ne juge pas les autres, qui donc oserait la juger ?… »

Il ne pensait plus à lui, maintenant ; il pensait à elle, et sa tristesse, moins égoïste, fut moins âcre.

Il arriva place des Vosges.

Sous les arcades, au coin de la rue de Turenne, un petit café restait ouvert. Il entra, demanda un verre de bière : il voulait écrire à Josanne avant de remonter chez lui.

Ce petit café… Un après-midi d’avril, Noël et Josanne s’étaient assis devant la porte, entre les caisses de fusains. La jeune femme avait pris des gâteaux et de l’orangeade, et Noël lui avait montré les fenêtres de son cabinet de travail… Comme ils étaient joyeux encore !… Ils ne savaient pas qu’ils s’aimaient !

Noël revit la figure charmante, la volute basse des cheveux noirs, les yeux d’un bleu variable, qui étaient ce jour-là, veloutés comme les pétales de la pensée… Et il revit cette figure telle qu’il la tenait entre ses mains, tout à l’heure, pour le baiser d’adieu, cette pauvre figure en larmes qui se contraignait à sourire…

Il écrivit :

« Ma bien-aimée, nous sommes fous !… Nous souffrons l’un par l’autre, quand pour être heureux il ne nous manque que la volonté d’être heureux. La vérité c’est que j’ai peur de vous, peur de moi, peur de vous aimer trop et de trop souffrir… Le joug des préjugés héréditaires, de la jalousie, de l’orgueil, opprime encore mon âme. Je veux le briser ; je le briserai !… J’accepte l’amour comme on accepte la vie, avec tout le bien et tout le mal, toute la douleur et toute la joie qu’il contient. Je vous accepte et vous