Page:Tinayre - La Rebelle.djvu/338

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Non, pas du tout.

Il essayait de la divertir un peu. Il lui parlait de Lusignan où bientôt — l’an prochain — ils iraient ensemble. Josanne aimerait la vieille cité de Mélusine, l’église verte de mousse, les belles charmilles de la promenade, et cette vallée où, parmi les noyers et les trembles, une rivière charmante s’enroule comme une couleuvre d’argent…

— Tu seras là-bas demain matin…

— Si tu me laisses partir, oui…

— Hélas !

Elle détournait encore la tête. Par l’écartement du rideau, elle apercevait la grande place, dans le bleu du soir tombé, un bleu intense et pourtant fondu, mouillé de bruine, un bleu que les lumières électriques rendaient artificiel et théâtral. Et dans tout ce bleu qui baignait la gare de Vincennes, les masses compactes des maisons, la sombre trouée du faubourg, les arbres éclairés par dessous, — dans tout ce bleu, la colonne seule était noire et portait plus haut que toute lumière son Génie éteint.

Autour d’elle, en bas, des feux blancs, des feux verts, des feux rouges, irradiaient leurs halos fixes ou mouvants dans le bleuissement crépusculaire qui, de minute en minute, s’assombrissait. Des bruits rauques, des sifflets perçaient le vaste bruit continu de la foule.

Que de gens ! Ils venaient, ils venaient, employés, ouvriers, hommes et femmes, en vêtements de travail ; ils venaient par groupes, par files, de tous les coins de Paris, vers cette place où commence le vrai Paris populaire, celui des émeutes et des révolutions.