Page:Tinayre - La Rebelle.djvu/357

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polaires. Les moindres bruits s’exagéraient dans le silence sonore.

Un fiacre emporta Noël vers le quai des Grands-Augustins. Impatient de revoir son amie, le jeune homme regrettait presque les heures perdues au théâtre.

« Vraiment, se disait-il, je ne peux plus m’intéresser à rien, et me plaire nulle part, si Josanne n’est pas avec moi ! Je me sens « dépareillé »… Je ne suis que la moitié de moi-même. » Il évoqua le visage aimé, les beaux yeux spirituels… « Quelle douceur de trouver l’amitié parfaite dans l’amour le plus passionné !… Il vaut mieux, pourtant, que Josanne n’ait pas vu cette absurde pièce… Après tout, elle aurait constaté, une fois de plus, que nous ne sommes pas des amants « comme les autres… » L’amour — notre amour — a été plus fort que le passé, plus fort que la jalousie… Et cependant ! J’avais l’âme bien malade, il y a six mois ! Tout exaspérait ma sensibilité suraiguë, ma sensibilité d’écorché vif ! Et, dans ce temps-là, je n’aurais pas causé avec Foucart comme je viens de le faire !… Certaines répliques de la pièce, le sujet même, m’eussent bouleversé… Quelle différence ! »

L’aiguille de la Sainte-Chapelle brilla, fleurie d’un reflet d’or, dans le ciel décoloré par la lune. Le fiacre traversa le pont Saint-Michel. La Seine, écailleuse et scintillante, semblait un grand poisson d’argent pris par le gel, sous le filet noir des arbres. La découpure de la rive gauche était sombre, opaque, précise comme un décor, et trouée de points lumineux… Noël aperçut avec joie la fenêtre éclairée de Josanne…

Il avait une clé de l’appartement. Il monta l’esca-