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Page:Tinayre - Les Lampes voilees.djvu/91

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» Mon livre est achevé ; il va paraître, mais la guerre éclate. Alors, je veux que vous ayez une pensée pour moi. Je vous envoie un billet qui pourrait être un adieu… Après la Marne, après l’offensive des Éparges, puis sous Verdun, je vous écris encore… Une permission, enfin ! Si j’allais à Saintes, si j’allais plus loin encore — chez vous ?… Mais celle qui a droit sur ma vie est accourue ? Qu’a-t-elle deviné ? Que craint-elle ? Je devine son angoisse. Je me rappelle votre froid dédain… Et je me fais alors le serment de rentrer dans le silence et de laisser venir l’oubli…

» Et l’oubli vient ; le temps coule. La guerre a cessé d’être nouvelle et exaltante ; elle a durci ma sensibilité comme mes mains qui sont gercées et calleuses. L’habitude a détruit l’affreuse poésie du combat et la volupté excitante du risque. Parfois un lourd ennui m’accable ; mais la simple philosophie du soldat remplace le dilettantisme de l’artiste. Je me suis rangé, moi aussi, à la morale commune.