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CHOSES ET GENS DE PROVINCE

lettes de hachis froid roulées dans des feuilles de vigne, — il y a aussi des gens qu’on rase et qui lèvent des mentons barbouillés…

Que de monde, dehors, ce soir !… Derviches, paysans grecs, paysans turcs, artisans, soldats, jusqu’à des pachas dans leur voiture, jusqu’à des officiers à cheval, jusqu’à de très vieux bonshommes qui ont des turbans jaunes et des robes de chambre en soie rayée comme le Malade imaginaire. Et des musiques !… lanternas, flûtes de roseau, darboukas… Et des chansons clamées par des chanteurs qui appuient leur main sur leur oreille, et ouvrent la bouche d’un air douloureux. Pas une femme — toutes sont rentrées avant le coucher du soleil. — Pas un Européen en jaquette ou en veston. Rien que des Turcs, des Grecs du peuple, des gens bariolés et baragouinants… Rien que des hommes. Nous sentons, sur nous, sur nos visages dévoilés, sur nos tailles libres, le regard multiple de cette foule d’Orient, ce regard masculin qui insiste, qui s’attache, qui irrite, à la longue, comme une obsession, une