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PREMIERS JOURS

isole un espace libre. Le chauffeur veut avancer : « Yassak !… » Mais M. Belon agite une carte qui porte un indéchiffrable grimoire et prononce le nom magique : « Chefket Pacha. » Les policiers hésitent, troublés par ce nom et par la vue du coupe-file. Pourtant, ils ne se décident pas à nous livrer passage. Alors, la trompe mugit, le moteur ronfle, les roues s’ébranlent, et la populace, et la police et l’armée même, cèdent à l’irrésistible poussée de la machine diabolique, dont la force est l’ultima ratio. Nous voilà dans cette même rue où j’ai passé, seule, le jour de l’avènement. Entre les maisons surchargées de spectateurs, entre les haies des fantassins bruns et bleus, sur la chaussée libre, l’auto fuit, à toute vitesse, parmi les exclamations des curieux amusés. Les innombrables dames noires, perchées sur les marches des fontaines, sur les terrasses des jardins, derrière les grilles des petits cimetières, dans les balcons aux stores de bois mi-levés, nous saluent de la main. Et les soldats, stupéfaits de cette irruption, au mépris de la