NOTICE SUR TITE-LIVE.
On ne sait presque rien de la vie de Tite-Live. Il
naquit à Padoue, l’an de Rome 695, cinquante-huit
ans avant l’ère chrétienne. Il eut, dit-on, deux fils et
quatre filles ; mais on réduit plus généralement à deux
le nombre de ses enfants, une fille et un fils. Quintilien
nous apprend que Tite-Live avait écrit pour ce
fils un petit traité des études de la jeunesse, dans lequel
il lui recommandait surtout la lecture de Démosthène
et de Cicéron. On y lisait aussi cette petite
anecdote, qu’un maître de rhétorique de son temps,
grand ennemi de la clarté dans le discours, ne s’attachait
qu’à la proscrire dans ceux de ses élèves, et
les obligeait à retoucher leurs compositions jusqu’à
ce quelles fussent devenues parfaitement obscures.
Il leur disait alors : « Voilà qui est bien mieux maintenant ;
je n’y entends rien moi-même. » Quant à la
fille de Tite-Live, elle épousa un rhéteur, nommé
Magius, dont les auditeurs furent quelque temps assez
nombreux, mais qu’on allait entendre, nous dit
Sénèque le rhéteur, plutôt à cause de la célébrité du
beau-père que du talent du gendre.
Tite-Live, ambitionnant plus d’un genre de gloire, avait, au rapport de Sénèque le philosophe, composé des ouvrages philosophiques et des dialogues qui appartenaient autant à la philosophie qu’à l’histoire. Mais son plus grand ouvrage est l’Histoire romaine, en cent quarante ou cent quarante-deux livres, qui, montrant Rome à son berceau, ne s’arrêtait qu’à la mort de Drusus, et embrassait les annales de sept cent quarante-trois années. Plusieurs passages de cette œuvre immense ont fait conjecturer qu’il y avait employé tout le temps qui s’écoula depuis la bataille d’Actium jusqu’à la mort de Drusus, c’est-à-dire environ vingt et un ans. Il en publiait les parties principales à mesure qu’il les avait achevées, et il les lisait, dit-on, à Auguste. Mais cette déférence pour l’empereur ne fit jamais fléchir l’impartialité de l’historien. Dans ce que nous possédons de son ouvrage, Auguste, nommé en deux endroits seulement, l’est avec une sobriété de louanges qui contraste avec les basses flatteries des écrivains contemporains. Loin de cacher son admiration pour les plus grands ennemis de la maison des Césars, Tite-Live louait hautement Brutus, Cassius et surtout Pompée, au point qu’Auguste l’appelait en plaisantant le Pompéien. Honorant cette indépendance, le prince avait confié à Tite-Live l’éducation du jeune Claude, depuis empereur, qui, à l’exemple et d’après le conseil de son maître, avait, non sans quelque succès, entrepris d’écrire l’histoire.
Tite-Live recueillit de son vivant des témoignages, extraordinaires d’admiration. Pline-le-Jeune rapporte, dans une de ses lettres, qu’un Espagnol, après la lecture de ses écrits, fit le voyage, alors très-pénible et très-long, de Cadix à Rome, uniquement pour voir cet historien, et s’en retourna dès qu’il l’eut vu. « C’était sans doute quelque chose de merveilleux, dit à ce sujet saint Jérôme, qu’un étranger, entrant dans une ville telle que Rome, y cherchât autre chose que Rome même. » Mais ce fameux docteur de l’église chrétienne a lui-même altéré le merveilleux de ce fait, en le rendant commun à plus d’un contemporain de Tite-Live, et en disant que plusieurs personnages considérables de l’Espagne et des Gaules entreprirent le voyage de Rome dans le même but que l’Espagnol.