Page:Tite Live - Histoire romaine (volume 1), traduction Nisard, 1864.djvu/30

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

donne à l’antiquité cette intervention des dieux dans les choses humaines, qui imprime à la naissance des villes un caractère plus auguste.

Or, s’il est permis à un peuple de rendre son origine plus sacrée, en la rapportant aux dieux, certes c’est au peuple romain ; et quand il veut faire du dieu Mars le père du fondateur de Rome et le sien, sa gloire dans les armes est assez grande pour que l’univers le souffre, comme il a souffert sa domination. Au reste, qu’on rejette ou qu’on accueille cette tradition, cela n’est pas à mes yeux d’une grande importance. Mais ce qui importe, et doit occuper surtout l’attention de chacun, c’est de connaître la vie et les mœurs des premiers Romains, de savoir quels sont les hommes, quels sont les arts qui, dans la paix comme dans la guerre, ont fondé notre puissance et l’ont agrandie ; de suivre enfin, par la pensée, l’affaiblissement insensible de la discipline et ce premier relâchement dans les mœurs qui, bientôt entraînées sur une pente tous les jours plus rapide, précipitèrent leur chute jusqu’à ces derniers temps, où le remède est devenu aussi insupportable que le mal. Le principal et le plus salutaire avantage de l’histoire, c’est d’exposer à vos regards, dans un cadre lumineux, des enseignements de toute nature qui semblent vous dire : Voici ce que tu dois faire dans ton intérêt, dans celui de la république ; ce que tu dois éviter, car il y a honte à le concevoir, honte à l’accomplir. Au reste, ou je m’abuse sur mon ouvrage, ou jamais république ne fut plus grande, plus sainte, plus féconde en bons exemple : aucune n’est restée plus longtemps fermée au luxe et à la soif des richesses, plus longtemps fidèle au culte de la tempérance et de la pauvreté, tant elle savait mesurer ses désirs à sa fortune.

Ce n’est que de nos jours que les richesses ont engendré l’avarice, le débordement des plaisirs, et je ne sais quelle fureur de se perdre et d’abîmer l’état avec soi dans le luxe et la débauche. Mais ces plaintes ne blesseront que trop, peut-être, quand elles seront nécessaires ; ne commençons donc pas par là ce grand ouvrage. Il conviendrait mieux, si l’historien avait le privilège du poète, de commencer sous les auspices des dieux et des déesses, afin d’obtenir d’eux, à force de vœux et de prières, l’heureux succès d’une si vaste entreprise.

Séparateur