Page:Tite Live - Histoire romaine (volume 1), traduction Nisard, 1864.djvu/41

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sa rencontre, que, déjà transportée par la colère et le désir de reprendre la place, elle s’élance sur la hauteur. De part et d’autre les chefs animent les combattants ; c’était Mettus Curtius du côté des Sabins ; du côté des Romains, Hostus Hostilius. Celui-ci, placé au premier rang et malgré le désavantage de la position, soutenait les siens de son audace et de son courage ; mais à peine fut-il tombé que l’armée romaine plie tout à coup, et est refoulée jusqu’à la vieille porte du Palatin. Entraîné lui-même par la multitude des fuyards, Romulus élève ses armes vers le ciel : « Jupiter, s’écrie-t-il, c’est pour obéir à tes ordres, c’est sous tes auspices sacrés qu’ici, sur le mont Palatin, j’ai jeté les fondements de cette ville. Déjà la citadelle, achetée par un crime, est au pouvoir des ennemis ; eux-mêmes ont franchi le milieu du vallon, et ils avancent jusqu’ici. Mais toi, père des dieux et des hommes, repousse-les du moins de ces lieux ; rends le courage aux Romains, et suspends leur fuite honteuse. Ici même je te voue, sous le nom de Jupiter Stator, un temple, éternel monument du salut de Rome préservée par la protection puissante. » Il dit ; et, comme s’il eût senti sa prière exaucée : « Romains, poursuit-il, Jupiter très bon et très grand ordonne que vous vous arrêtiez et que vous retourniez au combat. » Ils s’arrêtent en effet, comme s’ils obéissaient à la voix du ciel. Romulus vole aux premiers rangs. Mettus Curtius, à la tête des Sabins, était descendu de la citadelle, et avait poursuivi les Romains en déroute dans toute la longueur du Forum. Il approchait déjà de la porte du Palatin, et criait : « Ils sont vaincus, ces hôtes perfides, ces lâches ennemis ; ils savent enfin qu’autre chose est d’enlever des jeunes filles, autre chose de combattre des hommes. » À cette orgueilleuse apostrophe, Romulus fond sur Mettius[1] avec une troupe de jeunes gens des plus braves. Mettius alors combattait à cheval ; il devenait plus facile de le repousser. On le poursuit, et le reste de l’armée romaine, enflammé par l’audace de son roi, enfonce les Sabins à leur tour. Mettius, dont le cheval est épouvanté par le tumulte de la poursuite, est jeté dans un marais. Le danger qui environne un personnage aussi important attire l’attention des Sabins. Les uns le rassurent et l’appellent, les autres l’encouragent, et Mettius parvient enfin à s’échapper. Le combat recommence au milieu du vallon ; mais là encore l’avantage demeure aux Romains.

XIII. Alors, les mêmes Sabines, dont l’enlèvement avait allumé la guerre, surmontent, dans leur désespoir, la timidité naturelle à leur sexe, se jettent intrépidement, les cheveux épars et les vêtements en désordre, entre les deux armées et au travers d’une grêle de traits : elles arrêtent les hostilités, enchaînent la fureur, et s’adressant tantôt à leurs pères, tantôt à leurs époux, elles les conjurent de ne point se souiller du sang sacré pour eux, d’un beau-père ou d’un gendre, de ne point imprimer les stigmates du parricide au front des enfants qu’elles ont déjà conçus, de leurs fils à eux et de leurs petits-fils. « Si cette parenté, dont nous sommes les liens, si nos mariages vous sont odieux, tournez contre nous votre colère : nous la source de cette guerre, nous la cause des blessures et du massacre de nos époux et de nos

  1. Sic : le texte alterne entre Mettus et Mettius (note Wikisource).