Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 1.djvu/138

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moins on cherche à la perpétuer par d’autres moyens que par la propriété foncière.

Ainsi, non seulement la loi des successions rend difficile aux familles de conserver intacts les mêmes domaines, mais elle leur ôte le désir de le tenter, et elle les entraîne, en quelque sorte, à coopérer avec elle à leur propre ruine.

La loi du partage égal procède par deux voies : en agissant sur la chose, elle agit sur l’homme ; en agissant sur l’homme, elle arrive à la chose.

Des deux manières elle parvient à attaquer profondément la propriété foncière et à faire disparaître avec rapidité les familles ainsi que les fortunes[1].

Ce n’est pas sans doute à nous, Français du xixe siècle, témoins journaliers des changements politiques et sociaux que la loi des successions fait naître, à mettre en doute son pouvoir. Chaque jour nous la

  1. La terre étant la propriété la plus solide, il se rencontre de temps en temps des hommes riches qui sont disposés à faire de grands sacrifices pour l’acquérir, et qui perdent volontiers une portion considérable de leur revenu pour assurer le reste. Mais ce sont là des accidents. L’amour de la propriété immobilière ne se trouve plus habituellement que chez le pauvre. Le petit propriétaire foncier qui a moins de lumières, moins d’imagination et moins de passion que le grand, n’est, en général, préoccupé que du désir d’augmenter son domaine, et souvent il arrive que les successions, les mariages, ou les chances du commerce, lui en fournissent peu à peu les moyens.

    À côté de la tendance qui porte les hommes à diviser la terre, il en existe donc une autre qui les porte à l’agglomérer. Cette tendance, qui suffit à empêcher que les propriétés ne se divisent à l’infini, n’est pas assez forte pour créer de grandes fortunes territoriales, ni surtout pour les maintenir dans les mêmes familles.