Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 1.djvu/139

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voyons passer et repasser sans cesse sur notre sol, renversant sur son chemin les murs de nos demeures, et détruisant la clôture de nos champs. Mais si la loi des successions a déjà beaucoup fait parmi nous, beaucoup lui reste encore à faire. Nos souvenirs, nos opinions et nos habitudes lui opposent de puissants obstacles.

Aux États-Unis, son œuvre de destruction est à peu près terminée. C’est là qu’on peut étudier ses principaux résultats.

La législation anglaise sur la transmission des biens fut abolie dans presque tous les États à l’époque de la révolution.

La loi sur les substitutions fut modifiée de manière à ne gêner que d’une manière insensible la libre circulation des biens (G).

La première génération passa ; les terres commencèrent à se diviser. Le mouvement devint de plus en plus rapide à mesure que le temps marchait. Aujourd’hui, quand soixante ans à peine se sont écoulés, l’aspect de la société est déjà méconnaissable ; les familles des grands propriétaires fonciers se sont presque toutes englouties au sein de la masse commune. Dans l’État de New-York, où on en comptait un très grand nombre, deux surnagent à peine sur le gouffre prêt à les saisir. Les fils de ces opulents citoyens sont aujourd’hui commerçants, avocats, médecins. La plupart sont tombés dans l’obscurité la plus profonde. La dernière trace des rangs et des distinctions héréditaires est détruite ; la loi des successions a partout passé son niveau.