Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 1.djvu/257

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À l’époque où la constitution fédérale a été formée, il n’existait encore parmi les Anglo-Américains que deux intérêts positivement opposés l’un à l’autre : l’intérêt d’individualité pour les États particuliers, l’intérêt d’union pour le peuple entier ; et il a fallu en venir à un compromis.

On doit reconnaître, toutefois, que cette partie de la constatation n’a point, jusqu’à présent, produit les maux qu’on pouvait craindre.

Tous les États sont jeunes ; ils sont rapprochés les uns des autres ; ils ont des mœurs, des idées et des besoins homogènes ; la différence qui résulte de leur plus ou moins de grandeur, ne suffit pas pour leur donner des intérêts fort opposés. On n’a donc jamais vu les petits États se liguer, dans le sénat, contre les desseins des grands. D’ailleurs, il y a une force tellement irrésistible dans l’expression légale des volontés de tout un peuple, que, la majorité venant à s’exprimer par l’organe de la chambre des représentants, le sénat se trouve bien faible en sa présence.

De plus, il ne faut pas oublier qu’il ne dépendait pas des législateurs américains de faire une seule et même nation du peuple auquel ils voulaient donner des lois. Le but de la constitution fédérale n’était pas de détruire l’existence des États, mais seulement de la restreindre. Du moment donc où on laissait un pouvoir réel à ces corps secondaires (et on ne pouvait le leur ôter), on renonçait d’avance à employer habituellement la contrainte pour les plier aux volontés de la majorité. Ceci