Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 1.djvu/272

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deux volontés contradictoires. Pour ma part, je ne connais qu’un seul moyen de faire passer la royauté héréditaire à l’état de pouvoir électif : il faut rétrécir d’avance sa sphère d’action, diminuer graduellement ses prérogatives, et habituer peu à peu le peuple à vivre sans son aide. Mais c’est ce dont les républicains d’Europe ne s’occupent guère. Comme beaucoup d’entre eux ne haïssent la tyrannie que parce qu’ils sont en butte à ses rigueurs, l’étendue du pouvoir exécutif ne les blesse point ; ils n’attaquent que son origine, sans apercevoir le lien étroit qui lie ces deux choses.

Il ne s’est encore rencontré personne qui se souciât d’exposer son honneur et sa vie pour devenir président des États-Unis, parce que le président n’a qu’un pouvoir temporaire, borné et dépendant. Il faut que la fortune mette un prix immense en jeu pour qu’il se présente des joueurs désespérés dans la lice. Nul candidat, jusqu’à présent, n’a pu soulever en sa faveur d’ardentes sympathies et de dangereuses passions populaires. La raison en est simple : parvenu à la tête du gouvernement, il ne peut distribuer à ses amis ni beaucoup de puissance, ni beaucoup de richesses, ni beaucoup de gloire, et son influence dans l’État est trop faible pour que les factions voient leurs succès ou leur ruine dans son élévation au pouvoir.

Les monarchies héréditaires ont un grand avantage : l’intérêt particulier d’une famille y étant continuellement lié d’une manière étroite à l’intérêt de l’État, il ne se passe jamais un seul moment où celui-ci reste aban-