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Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 1.djvu/87

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sans parler d’une multitude innombrable de ruisseaux qui accourent de toutes parts se perdre dans son sein.

La vallée que le Mississipi arrose semble avoir été créée pour lui seul ; il y dispense à volonté le bien et le mal, et il en est comme le dieu. Aux environs du fleuve, la nature déploie une inépuisable fécondité ; à mesure qu’on s’éloigne de ses rives, les forces végétales s’épuisent, les terrains s’amaigrissent, tout languit ou meurt. Nulle part les grandes convulsions du globe n’ont laissé de traces plus évidentes que dans la vallée du Mississipi. L’aspect tout entier du pays y atteste le travail des eaux. Sa stérilité comme son abondance est leur ouvrage. Les flots de l’océan primitif ont accumulé dans le fond de la vallée d’énormes couches de terre végétale qu’ils ont eu le temps d’y niveler. On rencontre sur la rive droite du fleuve des plaines immenses, unies comme la surface d’un champ sur lequel le laboureur aurait fait passer son rouleau. À mesure qu’on approche des montagnes, le terrain, au contraire, devient de plus en plus inégal et stérile ; le sol y est, pour ainsi dire, percé en mille endroits, et des roches primitives apparaissent çà et là, comme les os d’un squelette après que le temps a consumé autour d’eux les muscles et les chairs. Un sable granitique, des pierres irrégulièrement taillées, couvrent la surface de la terre ; quelques plantes poussent à grand’peine leurs rejetons à travers ces obstacles ; on dirait un champ fertile couvert des débris d’un vaste édifice. En analysant ces pierres et ce sable, il est facile en effet de remarquer une analogie parfaite entre leurs sub-