Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 2.djvu/318

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Dans les premières, cependant, l’habitant était obligé de cultiver lui-même le sol, ou de louer les services d’un autre ; dans les secondes, il trouvait à sa disposition les ouvriers dont il ne rétribuait pas les efforts. Il y avait donc travail et frais d’un côté, loisirs et économie de l’autre : cependant l’avantage restait aux premiers.

Ce résultat paraissait d’autant plus difficile à expliquer que les émigrants, appartenant tous à la même race européenne, avaient les mêmes habitudes, la même civilisation, les mêmes lois, et ne différaient que par des nuances peu sensibles.

Le temps continuait à marcher : quittant les bords de l’océan Atlantique les Anglo-Américains s’enfonçaient tous les jours davantage dans les solitudes de l’Ouest ; ils y rencontraient des terrains et des climats nouveaux ; ils avaient à y vaincre des obstacles de diverse nature ; leurs races se mêlaient, des hommes du Sud montaient au Nord, des hommes du Nord descendaient au Sud. Au milieu de toutes ces causes, le même fait se reproduisait à chaque pas ; et, en général, la colonie où ne se trouvaient point d’esclaves devenait plus peuplée et plus prospère que celle où l’esclavage était en vigueur.

À mesure qu’on avançait, on commençait donc à entrevoir que la servitude, si cruelle à l’esclave, était funeste au maître.

Mais cette vérité reçut sa dernière démonstration lorsqu’on fut parvenu sur les bords de l’Ohio.

Le fleuve que les Indiens avaient nommé par excellence l’Ohio, ou la Belle-Rivière, arrose de ses eaux