Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 2.djvu/348

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Les Anciens enchaînaient le corps de l’esclave, mais ils laissaient son esprit libre et lui permettaient de s’éclairer. En cela ils étaient conséquents avec eux-mêmes ; il y avait alors une issue naturelle à la servitude : d’un jour à l’autre l’esclave pouvait devenir libre et égal à son maître.

Les Américains du Sud, qui ne pensent point qu’à aucune époque les nègres puissent se confondre avec eux, ont défendu, sous des peines sévères, de leur apprendre à lire et à écrire. Ne voulant pas les élever à leur niveau, ils les tiennent aussi près que possible de la brute.

De tout temps, l’espérance de la liberté avait été placée au sein de l’esclavage pour en adoucir les rigueurs.

Les Américains du Sud ont compris que l’affranchissement offrait toujours des dangers, quand l’affranchi ne pouvait arriver un jour à s’assimiler au maître. Donner à un homme la liberté et le laisser dans la misère et l’ignominie, qu’est-ce faire, sinon fournir un chef futur à la révolte des esclaves ? On avait d’ailleurs remarqué depuis longtemps que la présence du nègre libre jetait une inquiétude vague au fond de l’âme de ceux qui ne l’étaient pas, et y faisait pénétrer, comme une lueur douteuse, l’idée de leurs droits. Les Américains du Sud ont enlevé aux maîtres, dans la plupart des cas, la faculté d’affranchir[1].

J’ai rencontré au sud de l’Union un vieillard qui jadis avait vécu dans un commerce illégitime avec une de ses

  1. L'affranchissement n'est point interdit, mais soumis à des formalités qui le rendent difficile.