Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 2.djvu/51

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les membres de ces associations répondent à un mot d’ordre comme des soldats en campagne ; ils professent le dogme de l’obéissance passive, ou plutôt, en s’unissant, ils ont fait d’un seul coup le sacrifice entier de leur jugement et de leur libre arbitre : aussi règne-t-il souvent dans le sein de ces associations une tyrannie plus insupportable que celle qui s’exerce dans la société au nom du gouvernement qu’on attaque.

Cela diminue beaucoup leur force morale. Elles perdent ainsi le caractère sacré qui s’attache à la lutte des opprimés contre les oppresseurs. Car celui qui consent à obéir servilement en certains cas à quelques-uns de ses semblables, qui leur livre sa volonté et leur soumet jusqu’à sa pensée, comment celui-là peut-il prétendre qu’il veut être libre ?

Les Américains ont aussi établi un gouvernement au sein des associations ; mais c’est, si je puis m’exprimer ainsi, un gouvernement civil. L’indépendance individuelle y trouve sa part : comme dans la société, tous les hommes y marchent en même temps vers le même but ; mais chacun n’est pas tenu d’y marcher exactement par les mêmes voies. On n’y fait point le sacrifice de sa volonté et de sa raison ; mais on applique sa volonté et sa raison à faire réussir une entreprise commune.