Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 3.djvu/116

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différaient notablement, par leur langage, des classes éclairées de la Grande-Bretagne.

Ils ne se plaignaient pas seulement de ce que les Américains avaient mis en usage beaucoup de mots nouveaux ; la différence et l’éloignement des pays eût suffi pour l’expliquer ; mais de ce que ces mots nouveaux étaient particulièrement empruntés, soit au jargon des partis, soit aux arts mécaniques, ou à la langue des affaires. Ils ajoutaient que les anciens mots anglais étaient souvent pris par les Américains dans une acception nouvelle. Ils disaient enfin que les habitants des États-Unis entremêlaient fréquemment les styles d’une manière singulière, et qu’ils plaçaient quelquefois ensemble des mots qui, dans le langage de la mère-patrie, avaient coutume de s’éviter.

Ces remarques, qui me furent faites à plusieurs reprises par des gens qui me parurent mériter d’être crus, me portèrent moi-même à réfléchir sur ce sujet, et mes réflexions m’amenèrent, par la théorie, au même point où ils étaient arrivés par la pratique.

Dans les aristocraties, la langue doit naturellement participer au repos où se tiennent toutes choses. On fait peu de mots nouveaux, parce qu’il se fait peu de choses nouvelles ; et fît-on des choses nouvelles, on s’efforcerait de les peindre avec les mots connus, et dont la tradition a fixé le sens.

S’il arrive que l’esprit humain s’y agite enfin de lui-même, ou que la lumière, pénétrant du dehors, le réveille, les expressions nouvelles qu’on crée ont un ca-