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Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 3.djvu/117

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ractère savant, intellectuel et philosophique, qui indique qu’elles ne doivent pas la naissance à une démocratie. Lorsque la chute de Constantinople eut fait refluer les sciences et les lettres vers l’occident, la langue française se trouva presque tout à coup envahie par une multitude de mots nouveaux, qui tous avaient leur racine dans le grec et le latin. On vit alors en France un néologisme érudit, qui n’était à l’usage que des classes éclairées, et dont les effets ne se firent jamais sentir, ou ne parvinrent qu’à la longue jusqu’au peuple.

Toutes les nations de l’Europe donnèrent successivement le même spectacle. Le seul Milton a introduit dans la langue anglaise plus de six cents mots, presque tous tirés du latin, du grec et de l’hébreu.

Le mouvement perpétuel qui règne au sein d’une démocratie, tend au contraire à y renouveler sans cesse la face de la langue, comme celle des affaires. Au milieu de cette agitation générale et de ce concours de tous les esprits, il se forme un grand nombre d’idées nouvelles ; des idées anciennes se perdent ou reparaissent ; ou bien elles se subdivisent en petites nuances infinies.

Il s’y trouve donc souvent des mots qui doivent sortir de l’usage, et d’autres qu’il faut y faire entrer.

Les nations démocratiques aiment d’ailleurs le mouvement pour lui-même. Cela se voit dans la langue aussi bien que dans la politique. Alors qu’elles n’ont pas le besoin de changer les mots, elles en sentent quelquefois le désir.