Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 3.djvu/18

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pratique, ils en concluent aisément que tout dans le monde est explicable, et que rien n’y dépasse les bornes de l’intelligence.

Ainsi, ils nient volontiers ce qu’ils ne peuvent comprendre : cela leur donne peu de foi pour l’extraordinaire, et un dégoût presque invincible pour le surnaturel.

Comme c’est à leur propre témoignage qu’ils ont coutume de s’en rapporter, ils aiment à voir très-clairement l’objet dont ils s’occupent ; ils le débarrassent donc, autant qu’ils le peuvent, de son enveloppe, ils écartent tout ce qui les en sépare, et enlèvent tout ce qui le cache aux regards, afin de le voir de plus près et en plein jour. Cette disposition de leur esprit les conduit bientôt à mépriser les formes, qu’ils considèrent comme des voiles inutiles et incommodes placés entre eux et la vérité.

Les Américains n’ont donc pas eu besoin de puiser leur méthode philosophique dans les livres, ils l’ont trouvée en eux-mêmes. J’en dirai autant de ce qui s’est passé en Europe.

Cette même méthode ne s’est établie et vulgarisée en Europe qu’à mesure que les conditions y sont devenues plus égales et les hommes plus semblables.

Considérons un moment l’enchaînement des temps :

Au seizième siècle, les réformateurs soumettent à la raison individuelle quelques-uns des dogmes de l’ancienne foi ; mais ils continuent à lui soustraire la discussion de tous les autres. Au dix-septième, Bacon, dans les sciences naturelles, et Descartes, dans la philosophie