Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 3.djvu/271

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Les petites sociétés aristocratiques que forment certaines industries au milieu de l’immense démocratie de nos jours, renferment comme les grandes sociétés aristocratiques des anciens temps, quelques hommes très-opulents et une multitude très-misérable. Ces pauvres ont peu de moyens de sortir de leur condition et de devenir riches, mais les riches deviennent sans cesse des pauvres, ou quittent le négoce après avoir réalisé leurs profits. Ainsi, les éléments qui forment la classe des pauvres sont à peu près fixes ; mais les éléments qui composent la classe des riches ne le sont pas. À vrai dire, quoiqu’il y ait des riches, la classe des riches n’existe point ; car ces riches n’ont pas d’esprit ni d’objets communs, de traditions ni d’espérances communes. Il y a donc des membres, mais point de corps.

Non-seulement les riches ne sont pas unis solidement entre eux, mais on peut dire qu’il n’y a pas de lien véritable entre le pauvre et le riche.

Ils ne sont pas fixés à perpétuité l’un près de l’autre ; à chaque instant l’intérêt les rapproche et les sépare. L’ouvrier dépend en général des maîtres, mais non de tel maître. Ces deux hommes se voient à la fabrique et ne se connaissent pas ailleurs, et tandis qu’ils se touchent par un point, ils restent fort éloignés par tous les autres. Le manufacturier ne demande à l’ouvrier que son travail, et l’ouvrier n’attend de lui que le salaire. L’un ne s’engage point à protéger, ni l’autre à défendre, et ils ne sont liés d’une manière permanente, ni par l’habitude, ni par le devoir. L’aristocratie que fonde le