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Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 3.djvu/370

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CHAPITRE XV


DE LA GRAVITÉ DES AMÉRICAINS, ET POURQUOI ELLE NE LES EMPÊCHE PAS DE FAIRE SOUVENT DES CHOSES INCONSIDÉRÉES.


Les hommes qui vivent dans les pays démocratiques ne prisent point ces sortes de divertissements naïfs, turbulents et grossiers auxquels le peuple se livre dans les aristocraties ; ils les trouvent puérils ou insipides. Ils ne montrent guère plus de goût pour les amusements intellectuels et raffinés des classes aristocratiques ; il leur faut quelque chose de productif et de substantiel dans leurs plaisirs ; et ils veulent mêler des jouissances à leur joie.

Dans les sociétés aristocratiques, le peuple s’abandonne volontiers aux élans d’une gaieté tumultueuse et bruyante qui l’arrache tout à coup à la contemplation de ses misères ; les habitants des démocraties n’aiment point à se sentir ainsi tirés violemment hors d’eux-mêmes, et c’est toujours à regret qu’ils se perdent de vue. À ces transports frivoles ils préfèrent des délassements graves et silencieux qui ressemblent à des affaires et ne les fassent point entièrement oublier.