Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 3.djvu/501

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Quelque grossier que soit un peuple démocratique, le pouvoir central qui le dirige n’est jamais complétement privé de lumières, parce qu’il attire aisément à lui le peu qui s’en rencontre dans le pays, et que, au besoin, il va en chercher au dehors. Chez une nation qui est ignorante aussi bien que démocratique, il ne peut donc manquer de se manifester bientôt une différence prodigieuse entre la capacité intellectuelle du souverain et celle de chacun de ses sujets. Cela achève de concentrer aisément dans ses mains tous les pouvoirs. La puissance administrative de l’État s’étend sans cesse, parce qu’il n’y a que lui qui soit assez habile pour administrer.

Les nations aristocratiques, quelque peu éclairées qu’on les suppose, ne donnent jamais le même spectacle, parce que les lumières y sont assez également réparties entre le prince et les principaux citoyens.

Le pacha qui règne aujourd’hui sur l’Égypte a trouvé la population de ce pays composée d’hommes très-ignorants et très-égaux, et il s’est approprié, pour la gouverner, la science et l’intelligence de l’Europe. Les lumières particulières du souverain arrivant ainsi à se combiner avec l’ignorance et la faiblesse démocratique des sujets, le dernier terme de la centralisation a été atteint sans peine, et le prince a pu faire du pays sa manufacture, et des habitants ses ouvriers.

Je crois que la centralisation extrême du pouvoir politique finit par énerver la société, et par affaiblir ainsi à la longue le gouvernement lui-même. Mais je ne nie point qu’une force sociale centralisée ne soit en état