Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 3.djvu/91

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on la destine. Quand il n’y avait que les riches qui eussent des montres, elles étaient presque toutes excellentes. On n’en fait plus guère que de médiocres, mais tout le monde en a. Ainsi, la démocratie ne tend pas seulement à diriger l’esprit humain vers les arts utiles ; elle porte les artisans à faire très-rapidement beaucoup de choses imparfaites, et le consommateur à se contenter de ces choses.

Ce n’est pas que dans les démocraties l’art ne soit capable, au besoin, de produire des merveilles. Cela se découvre parfois, quand il se présente des acheteurs qui consentent à payer le temps et la peine. Dans cette lutte de toutes les industries, au milieu de cette concurrence immense et de ces essais sans nombre, il se forme des ouvriers excellents qui pénètrent jusqu’aux dernières limites de leur profession ; mais ceux-ci ont rarement l’occasion de montrer ce qu’ils savent faire : ils ménagent leurs efforts avec soin ; ils se tiennent dans une médiocrité savante qui se juge elle-même, et qui, pouvant atteindre au-delà du but qu’elle se propose, ne vise qu’au but qu’elle atteint. Dans les aristocraties au contraire, les ouvriers font toujours tout ce qu’ils savent faire, et lorsqu’ils s’arrêtent, c’est qu’ils sont au bout de leur science.

Lorsque j’arrive dans un pays et que je vois les arts donner quelques produits admirables, cela ne m’apprend rien sur l’état social et la constitution politique du pays. Mais si j’aperçois que les produits des arts y sont généralement imparfaits, en très-grand nombre et