Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 8.djvu/15

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théorique fondée sur le privilège commun de la naissance. « Je ne suis, avait dit Henri IV, que le premier gentilhomme de mon royaume. » Ce mot peint l’esprit qui régnait encore dans la noblesse française à la fin du dix-huitième siècle. Toutefois, il existait encore entre les nobles d’immenses différences ; les uns possédaient encore de grandes propriétés foncières, les autres trouvaient à peine de quoi vivre autour du manoir paternel. Ceux-ci passaient la plus grande partie de leur vie à la cour ; ceux-là conservaient avec orgueil, au fond de leurs provinces, une obscurité héréditaire. Aux uns, l’usage ouvrait le chemin des grandes dignités de l’État, tandis que les autres, après avoir atteint dans l’armée un grade peu élevé, dernier terme de leurs espérances, rentraient paisiblement dans leurs foyers pour n’en plus sortir.

Celui qui aurait voulu peindre fidèlement l'ordre de la noblesse, eût donc été obligé de recourir à des classifications nombreuses ; il aurait dû distinguer le noble d’épée du noble de robe, le noble de cour du noble de province, l’ancienne noblesse de la noblesse récente. Il aurait retrouvé dans cette petite société presque autant de nuances et de classes que dans la société générale dont elle n’était qu’une partie ; on voyait régner toutefois au sein de ce grand corps un certain esprit homogène. Il obéissait tout entier à certaines règles fixes, se gouvernait d’après certains usages invariables, et entretenait certaines idées communes à tous ses membres.

La noblesse française, née de la conquête ainsi que toutes les autres noblesses du moyen âge, avait jadis