Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 8.djvu/19

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régler la police d’une cité, je lui abandonnerais avec moins de peine la direction des grandes affaires de la société que l’arrangement des petites ; et tout en lui laissant les signes les plus magnifiques de sa grandeur, j’arracherais de ses mains le cœur du peuple, où est la véritable source de la puissance.

Les nobles français avaient cependant gardé un certain nombre de droits exclusifs qui les distinguaient et les élevaient au-dessus des autres citoyens ; mais il était facile de découvrir que parmi les priviléges de ses pères, la noblesse française n’avait guère conservé que ceux qui font haïr les aristocraties et non ceux qui les font aimer ou craindre.

Les nobles jouissaient du droit exclusif de fournir des officiers à l’armée. C’eût été là sans doute un important privilége si les nobles eussent conservé une certaine importance individuelle ou un puissant esprit de corps.

Mais n’ayant plus ni l'un ni l’autre, ils n’étaient à l’armée, comme partout ailleurs, que des instruments passifs dans les mains du roi. De lui seul ils attendaient l’avancement et la faveur ; et ils ne songeaient qu’à lui plaire sur le champ de bataille connue à la cour. Le droit dont je parle, avantageux aux familles nobles, n’était donc point utile à la noblesse comme corps politique. Chez une nation essentiellement guerrière, où la gloire militaire a toujours été considérée comme le premier des biens, ce privilége soulevait contre ceux qui en jouissaient de violentes haines et des jalousies implaca-