Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 8.djvu/20

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bles. Il ne livrait pas aux nobles les soldats ; mais il faisait du soldat l’ennemi naturel des nobles.

Les gentilshommes étaient exempts d’une partie des taxes. De plus ils prélevaient sur les habitants de leurs domaines, sous beaucoup de noms divers, un grand nombre de redevances annuelles. Ces droits n’augmentaient pas beaucoup la richesse des nobles et faisaient de la noblesse un objet commun de haine et d’envie.

Les priviléges les plus dangereux pour ceux qui en jouissent sont les privilèges d’argent. Chacun en apprécie l’étendue du premier coup d’œil et, les voyant clairement, s’en trouve offensé ; les sommes qu’ils produisent sont comme autant de mesures exactes à l’aide desquelles se peut évaluer la haine qu’elles font naître. Il n’y a qu’un certain nombre d’hommes qui désirent les honneurs et qui visent à diriger l’Etat ; mais il en est bien peu qui ne veuillent être riches. Beaucoup d’hommes s’occupent peu de savoir qui les gouverne ; mais il n’y en a point qui restent indifférents à ce qui se passe dans leur fortune privée.

Les priviléges qui donnent de l’argent sont donc tout à la fois moins importants et plus dangereux que ceux qui accordent du pouvoir. Les nobles français en conservant ceux-là de préférence aux autres avaient gardé, de l’inégalité, ce qui blesse et non ce qui sert. Ils gênaient et appauvrissaient le peuple et ne le gouvernaient pas. Ils paraissaient au milieu de lui comme des étrangers favorisés par le prince plutôt que comme des guides et des chefs ; n’ayant rien à donner, ils n’attachaient pas