Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/157

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peu après, Cherbourg-, après avoir été privé de ses anciens murs, dans le but de lui procurer des moyens de défense plus efficaces, resta donc démantelé. Il était encore en cet état lorsque les Anglais s’en emparèrent par un coup de main, en 1758. Ils descendirent dans une anse située à trois lieues de la ville, et nommée Anse d’Urville. S’avançant donc là vers Cherbourg, qu’ils prirent sans coup férir, ils brûlèrent les vaisseaux marchands qui étaient dans le port, détruisirent une jetée et l’écluse d’un beau bassin de flot qui venaient d’être achevés, et se rembarquèrent. Cherbourg demeura au milieu de ces ruines jusqu’à la fin du dix-huitième siècle, époque où commencent les immenses travaux dont nous allons parler.

Cherbourg avait eu, comme nous l’avons vu, une grande importance dans le moyen âge ; il l’avait dû à deux circonstances, aux invasions des Anglais, à l’ignorance des effets de l’artillerie. Tant que les Anglais furent occupés à conquérir la France, Cherbourg, port de guerre, ville forte, situé à huit heures des côtes d’Angleterre, fut considéré par eux presqu’à l’égal de Calais ; ils le regardèrent, pendant deux cents ans, comme l’une des principales clefs du royaume. Possesseurs de Cherbourg, ils se croyaient les maîtres inexpugnables de la côte, et ils l’étaient en effet ; car tant que l’on ignora ou que l’on connut imparfaitement l’usage de l’artillerie, Cherbourg, entouré par la mer et par des marais, était imprenable. Mais dès qu’on eut appris l’art d’attaquer les villes de loin en se plaçant sur les hauteurs qui les dominent, Cherbourg devint très-difficile à défendre, et bientôt après que les Anglais eurent été définitivement chassés de France, toute l’importance politique de cette ville disparut ; son renom comme ville de guerre s’évanouit. Cherbourg ne fut plus considéré que comme un port de relâche assez précieux, et il n’aurait jamais en qu’une existence fort ignorée et très-secondaire, si un concours de circonstances nouvelles et un ensemble prodigieux de travaux n’étaient venus lui