Tocqueville a écrit sur ce sujet, et notamment les deux grands rapports parlementaires qu’il fit en 1847 à la Chambre des députés, et qui avaient pour objet l’organisation de l’Algérie.
Tout le monde sait qu’en ce moment même la question la plus délicate que soulève l’Algérie est celle de savoir si une politique trop bienveillante envers les Arabes, au lieu de leur inspirer le sentiment de notre puissance et de notre grandeur, ne leur ferait pas croire à notre faiblesse, et si, au lieu de les attacher à nous, une politique de concessions exagérées ne les exciterait pas à briser le lien de notre autorité ? J’ouvre le rapport de Tocqueville du 2 mai 1847, et j’y lis ce qui suit :
« Notre respect, dit-il, pour les croyances des indigènes, a été poussé si loin, que, dans certains lieux, nous leur avons bâti des mosquées avant d’avoir pour nous-mêmes une église ; chaque année le gouvernement français (faisant ce que le prince musulman qui nous a précédés à Alger ne faisait pas lui-même) transporte sans frais, jusqu’en Égypte, les pèlerins qui veulent aller honorer le tombeau du prophète. Nous avons prodigué aux Arabes les distinctions honorifiques qui sont destinées à signaler le mérite de nos citoyens. Souvent les indigènes, après des trahisons et des révoltes, ont été reçus par nous avec une longanimité singulière. On en a vu qui, le lendemain du jour où ils nous avaient abandonnés pour aller tremper leurs mains dans notre sang, ont reçu de nouveau de notre générosité leurs biens, leurs honneurs et leur pouvoir. Il y a plus ; dans plusieurs des lieux où la population civile européenne est mêlée à la population indigène, on se plaint, non sans quelque raison, que c’est en général l’indigène qui est le mieux protégé, et l’Européen qui obtient le plus difficilement justice[1]. »
- ↑ Voir page 435.