Aller au contenu

Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/193

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

on peut dire déjà qu’elle est terminée. Toutes les difficultés sont vaincues ; on a triomphé de la mer et du vent. Non seulement on a atteint le résultat que se proposait Louis XVI, mais on l’a de beaucoup dépassé. La rade est parfaitement sûre ; ce n’est plus la mer, c’est un grand lac qui, pareil à la rade de Brest, ne participe plus guère aux mouvements de l’Océan et qui ne s’agite plus que sur lui-même ; tandis qu’en dehors les plus violentes tempêtes soulèvent les vagues et les précipitent contre la digue, les vaisseaux abrités derrière elle y jouissent d’une si grande tranquillité, qu’ils pourraient venir mouiller près de ses talus sans craindre d’avaries.

Si l’on étudie attentivement l’histoire de tous les grands travaux hydrauliques entrepris par les hommes, on se convaincra aisément et l’on pourra affirmer sans exagération que cette digue est dans son genre l’œuvre la plus extraordinaire qui ait jamais été conçue et achevée. Rien dans l’antiquité ni dans le monde moderne ne saurait lui être comparé. Les Romains, comme je l’ai déjà dit, ont exécuté à la mer d’admirables travaux ; mais les difficultés qu’il sont eu à vaincre étaient infiment moindres que celles que nous avons rencontrées à Cherbourg. Toutes leurs digues partaient du rivage pour s’avancer au large : aucune n’a eu l’étendue de celle de Cherbourg ni n’a été fondée dans de telles profondeurs. Les Romains, d’ailleurs, luttaient contre une mer sans marée, ce qui simplifiait prodigieusement leur travail. Quant aux modernes, le seul de leurs ouvrages dont on puisse parler est la digue élevée par les Anglais en avant du port de Plymouth. Cette digue est fort postérieure à celle de Cherbourg qui lui a servi de modèle. Elle est fondée dans une mer moins profonde. La longueur de la digue de Plymouth n’atteint pas d’ailleurs la moitié de l’étendue de celle de Cherbourg : l’une a trois mille sept cent soixante-huit mètres, et l’autre mille trois cent soixante-quatre seulement. Enfin la digue de Plymouth est sujette encore à de fréquentes avaries.