Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/197

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pour employer le talent et suffire à l’ambition d’un grand ingénieur. Le principal ennemi contre lequel on allait avoir à lutter, ce n’était pas le rocher, c’était l’eau. Il fallait empêcher la mer d’entrer dans la cavité qui allait être formée, avant que celle-ci fût prête à la recevoir. Il fallait écouler ou épuiser les infiltrations qui, sous une charge maximum de 16 mètres de pression d’eau, ne manqueraient pas de se découvrir en creusant sur un si vaste espace et à de telles profondeurs, et qui menaceraient de noyer les ouvrages. Ces deux difficultés furent surmontées. La passe par laquelle la mer pouvait pénétrer dans les ouvrages n’avait pas moins de soixante-quatre mètres (environ deux cents pieds) de largeur, et la mer ne s’y élevait pas à moins de treize mètres (quarante pieds) ; elle y battait dans les tempêtes presque aussi violemment que si on eût été au large. Cette énorme échancrure fut bouchée d’un seul coup et en un seul jour par un bâtardeau gigantesque qui ne pesait pas moins de un million cinq cent mille kilogrammes et contenait mille trois cents stères de bois. C’était une immense caisse qu’on avait bâtie sur le rivage et qu’on remplit de terre glaise pour la rendre imperméable. On la mit à flot à l’aide des procédés dont M. de Cessart avait donné l’exemple quand il s’était agi des cônes, et on la conduisit sur le lien qu’elle devait occuper ; après quoi on l’y coula. L’opération réussit, et l’on fut à l’abri de l’eau de la mer. Quant aux infiltrations, elles furent moins grandes qu’on ne l’avait supposé. On en vint à bout, à l’aide de plusieurs machines à vapeur d’une force médiocre ; car la machine à, vapeur n’avait point acquis alors en France la puissance qu’on est parvenu à lui donner depuis.

C’est en marchant de cette manière qu’on pénétra jusqu’à neuf mètres trente-sept centimètres (vingt-huit pieds dix pouces) au-dessous du niveau des plus basses marées. Le sol qu’on creusait était un rocher très-dur qu’on ne pouvait ouvrir et diviser qu’au moyen de la mine et dont on trans-