Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/216

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Les criminels que la société a véritablement intérêt à exiler loin d’elle, ce sont les condamnés à temps, qui, après l’expiration de leur sentence, recouvrent l’usage de la liberté. Mais à ceux-là le système de la déportation ne peut être appliqué qu’avec réserve.

Supposons qu’il soit interdit à tout individu qui aura été déporté dans une colonie pénale, quelle que soit du reste la gravité de son crime, de se représenter jamais sur le territoire de la mère-patrie : de cette manière, on aura atteint sans doute le but principal que le législateur se propose : mais la peine de la déportation ainsi entendue présentera dans son application un grand nombre d’obstacles.

Son plus grand défaut sera d’être entièrement disproportionnée avec la nature de certains crimes, et de frapper d’une manière semblable des coupables essentiellement différents. On ne peut assurément placer sur la même ligne l’individu condamné à une prison perpétuelle et celui que la loi ne destine qu’à une détention de cinq ans. Tous deux cependant devront aller finir leurs jours loin de leur famille et de leur patrie. Pour l’un la déportation sera un adoucissement à sa peine, pour l’autre une aggravation énorme. Et, dans cette nouvelle échelle pénale, le moins coupable sera le plus sévèrement puni.

Après avoir gardé les criminels dans le lieu de déportation jusqu’à l’expiration de leur peine, leur fournira-t-on, au contraire, les moyens de revenir dans leur patrie ? Mais alors on manquera le but le plus important des colonies pénales, qui est d’épuiser peu à peu dans la mère-patrie la source des crimes, en faisant chaque jour disparaître leurs auteurs. On ne peut croire assurément que le condamné revienne dans son pays honnête homme, par cela seul qu’il aura été aux antipodes, qu’on lui aura fait faire le tour du monde. Les colonies pénales ne corrigent point comme les pénitenciers, en moralisant l’individu qui y est envoyé. Elles le changent en lui donnant d’autres intérêts que ceux du crime,