Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/252

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Votre Commission, après un mûr examen, a été d’avis unanime que l’émancipation simultanée présentait moins d’inconvénients et olfrait moins de périls que l’émancipation graduelle.

Cette opinion, qui parait du reste universellement admise dans les colonies elles-mêmes, peut surprendre au premier abord. Mais un examen attentif fait bientôt découvrir qu’elle se fonde sur des raisons qui paraissent sans réplique. Ces raisons avaient déjà fort préoccupé la Commission dernière. Le système de l’émancipation simultanée, avait dit le rapporteur, a paru préférable.

Toute émancipation graduelle a, en effet, trois inconvénients très-graves

1° Lorsque la métropole fait arriver à la fois, et par l’effet direct et visible de sa seule volonté, tous les esclaves à l’indépendance, elle peut aisément, en retour de ces droits nouveaux qu’elle leur confère, imposer à chacun d’eux certaines obligations particulières et étroites, et les soumettre tous à un régime transitoire qui les habitue graduellement à faire un bon usage de leur liberté.

Comme le changement est complet, que la société entière se transforme en même temps, il n’est pas impossible d’y introduire de nouvelles maximes de gouvernement, une nouvelle police, de nouveaux fonctionnaires, de nouvelles lois. Ces lois s’appliquant à tout le monde, personne ne se sent particulièrement blessé et ne résiste. La mère-patrie est préparée à faire un pareil effort, et les colonies à le subir.

Quand, au contraire, les esclaves n’arrivent qu’un à un à la liberté par un concours de circonstances qui semblent accidentelles, le changement social qui s’opère échappe aux esprits. A chaque affranchissement individuel, la société coloniale s’altère dans son essence, sans que son apparence extérieure en paraisse changée. Les affranchis continuant à ne former qu’une classe à part, il faudrait créer pour elle une législation spéciale, des magistrats parliculiers, un gouvernement exceptionnel : entreprises toujours difficiles et souvent périlleuses. Il semble plus simple et moins gênant de s’en rapporter au droit commun.

Or le droit commum d’une société à esclaves n’est pas en tout semblable au nôtre ; ce serait une grande erreur de le croire. Tous ceux qui ont parcouru les pays ù la servitude existe ont pu remarquer que le pouvoir social s’y mêlait de beaucoup moins d’af-