Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/257

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Ici, d’ailleurs, se présentent, dans toute leur force, les objections générales déjà produites contre toute émancipation graduelle. Comment, au milieu des générations précédentes restées dans l’esclavage, obtenir le travail de la jeune génération affranchie ? Comment faire travailler les parents esclaves en présence de leurs enfants libres ?

Votre Commission, messieurs, étant ainsi demeurée convaincue que l’émancipation simultanée était, à tout prendre, le moyen le moins dangereux de détruire l’esclavage, ne s’est plus appliquée qu’à recbercher à quelles conditions générales et de quelle manière cette émaucipation devait avoir lieu.

Votre Commission a repoussé tout d’abord l’assimilation qu’on voudrait faire de la propriété de l’esclave aux autres propriétés que la loi protège. Elle n’admet pas que l’expropriation forcée pour cause d’utilité publique soit rigoureusement applicable aux cas où l’État rend un nègre à la liberté. L’bomme n’a jamais eu le droit de posséder l’homme, et le fait de la possession a toujours été et est encore illégitime.

Alors même, d’ailleurs, que les principes en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique seraient ici applicables, il est évident que le colon ne saurait, d’après ces principes, réclamer d’avance le remboursement de la valeur totale de son esclave ; car, à la place de cet esclave qu’elle lui enlève, la loi lui offre un ouvrier libre. L’ouvrier libre ne sert, il est vrai, que moyennant salaire ; mais l’esclave ne pouvait non plus servir qu’à la condition d’être acheté, nourri, soigné et vêtu : c’était encore le salaire sous une autre forme. Le colon ne serait donc attaqué dans sa fortune par le fait de l’émancipation, et n’aurait un droit rigoureux à une indemnité que si, par le résultat encore inconnu de cette même émancipation, les nègres refusaient de travailler, ou si le salaire qu’ils demandaient pour leur travail excédait la somme pour laquelle on pouvait se procurer leur coopération forcée du temps de l’esclavage.

Toutefois, messieurs, votre Commission a unanimement pensé qu’il ne serait ni bumain, ni équitable, ni sage, de ne point venir au secours des colonies au moment où l’émancipation générale est prononcée, et pendant qu’elle s’opère.

C’est avec l’autorisation, c’est avec l’appui et le concours de la métropole, que les colons ont entrepris de cultiver la terre à l’aide