d’esclaves. Dès 1679[1], un arrêt du conseil accorda une prime de 15 livres par chaque tête de nègre importée dans les colonies. Des lettres-patentes de 1696 et 1704 confirment ce privilège des vendeurs d’esclaves. Toute la législation relative aux colonies, pendant le dix-huitième siècle, est remplie d’encouragements semblables, et, cinq ans encore avant la Révolution, le 28 octobre 1784, un arrêt du conseil porte : « Les avantages faits aux armateurs qui s’occupent de la traite des nègres étant devenus insuffisants, et ces armateurs ne suivant pas le commerce de la traite avec autant d’activité que l’exigerait l’intérêt des colonies, Sa Majesté, toujours portée à donner à ses colonies et aux armateurs de son royaume des marques de protection, a bien voulu accorder de nouveaux encouragements à la traite. » Suit une longue énumération des nouveaux privilèges.
La France a donc favorisé de tout son pouvoir le trafic des esclaves pendant plus d’un siècle, et elle n’a cessé de le tolérer que depuis neuf ans ; aujourd’hui, plus éclairée et plus juste, elle veut substituer au travail forcé le travail libre. La science indique, et plusieurs expériences déjà faites dans l’intérieur même des tropique[2] semblent prouver que la culture à l’aide des nègres affranchis peut devenir plus facile, plus productive et moins onéreuse que la culture à l’aide des noirs esclaves. Il est donc permis de croire que la révolution opérée dans nos îles serait heureuse pour les colons comme pour les nègres, et qu’après qu’elle serait terminée, il en coûterait moins au propriétaire du sol pour cultiver ses champs avec un petit nombre d’ouvriers dont il payerait le salaire suivant le travail, qu’il ne lui en coûte aujourd’hui où il est obligé d’acheter et d’entretenir, toute l’année autour de lui, une multitude d’esclaves dont une partie considérable reste toujours improductive.
Mais, d’un autre côté, il faut le reconnaître, le succès d’un si grand changement social est toujours accompagné d’incertitude ; alors même que le résultat final de la grande expérience que nous allons tenter serait de nature à nous satisfaire, comme il y a tant de justes raisons de le croire, le passage d’un état à l’autre ne se fera jamais sans péril ; il sera accompagné d’un malaise inévitable ;