Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/26

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fondre : les uns, exécuteurs malhabiles ou corrompus des volontés du maître, exposent ou déshonorent son autorité. Ils lui plaisent souvent ; mais ils lui nuisent toujours. Les autres font voir jusque dans la plus extrême obéissance une vigueur intellectuelle et une grandeur morale qu’on doit reconnaître. Sans chercher plus que les premiers çà discerner ce qu’il peut y avoir d’injuste ou de dangereux dans l’entreprise qu’on leur confie, ils ne s’occupent qu’à la pousser jusqu’au bout avec fidélité et honneur. L’action de leur conscience se resserre en quelque sorte dans ce petit espace, et parfois elle n’en devient que plus énergique et que plus vive. Pour mieux coopérer à l’exécution de ces desseins dans lesquels ils sont entrés sans les avoir discutés ni conçus, ils semblent se déserter eux-mêmes et se transporter tout entiers au point de vue de celui qui les dirige. On dirait qu’ils ne possèdent les lumières d’une haute intelligence que pour mieux pénétrer dans la pensée d’un autre, et qu’ils ne jouissent de leur propre génie que quand il lui sert.

On ne les voit point négliger les parties obscures du gouvernement pour ne s’occuper que des éclatantes ; ils apportent le même soin aux petites actions et aux grandes, ou plutôt ils ne jugent pas qu’il se trouve dans leur vie de petites actions, car, ce qui seul est grand pour eux, c’est leur devoir envers celui qui les fait agir.

Comme ils ne sont que les exécuteurs de plans qu’ils ne se croient point le droit de changer, leur commandement est toujours inflexible, souvent sévère, et ils arri-