Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/262

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entière est sans cesse placée sous la main du gouvernement ; elle ne peut se soustraire à son action journalière. L’impossibilité où seraient les nègres de résister doit leur en ôter toujours le désir. L’esclavage, d’ailleurs, devenu assez doux depuis longtemps dans les colonies françaises, ne saurait appeler la vengeance des noirs sur leurs anciens maîtres.

Ce qui est à craindre de l’émancipation, ce n’est pas la mort violente de nos colonies, c’est leur dépérissement graduel et la ruine de leur industrie, par la cessation, la diminution considérable ou le haut prix du travail. On n’a pas à redouter que les noirs massacrent les blancs ; mais il faut appréhender qu’ils ne se refusent à travailler avec eux et pour eux, ou qu’ils se bornent à quelques efforts passagers, qui, sous le ciel des tropiques, peuvent suffire à satisfaire les premiers besoins de l’homme.

C’est là le seul péril qui paraisse à craindre : mais il est grave, et il faut le conjurer à tout prix ; car la France travaille à faire des sociétés civilisées et non des hordes de sauvages. Il faut donc que la métropole, après avoir agi sur le colon par l’indemnité, agisse à son tour, sur l’esclave, par une législation ferme et prudente, qui le familiarise d’abord et le plie ensuite, s’il en est besoin, aux habitudes laborieuses et viriles de la liberté.

La Chambre pensera, sans doute, qu’arrivé à ce point, et pour achever d’éclairer le côté pratique de la question, il convient de considérer ici de quelle manière l’émancipation a été opérée dans les colonies anglaises.

En 1832, la Chambre des communes déclara par une résolution que, dans dix ans, l’esclavage devait être aboli.

Rien n’indique que, durant les dix ans qui s’écoulèrent, en effet, à partir de cette époque, sans que la liberté des noirs fût proclamée, les colonies aient fait aucun effort pour se préparer au changement qui leur était annoncé. La plupart d’entre elles résistèrent,

    geur 7 lieues. Les deux îles de la Guadeloupe, mises ensemble, présentent une longueur de 22 à 23 lieues, et une largeur moyenne de 5 à 7 lieues.
    Bourbon a 14 lieues de long sur 9 à 10 de large.
    La surface de la Guyane est évaluée à 18,000 lieues carrées, mais cette colonie ne compte encore que 5,000 habitants libres et 16,000 esclaves. Voyez les notices statistiques publiées par le ministre de la marine.