Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/266

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venable de ne s’occuper en ce moment que des colonies où l’apprentissage a été établi.

Dans toutes les colonies, et en Angleterre même, on craignait que de grands désordres, et peut-être de grands désastres, ne suivissent immédiatement la proclamation de la liberté. Ces craintes lurent trompées. Le 1eraoût 1854, sept cent mille noirs sortirent en même temps de l’esclavage, sans qu’il en résultât aucune perturbation profonde. Il n’y eut pas une goutte de sang répandue, ni une propriété détruite, dans toute la vaste étendue des colonies anglaises. Jamais événement plus considérable ne s’était accompli avec un calme et une facilité si extraordinaires.

Le même spectacle s’est continué jusqu’à ce jour ; et si l’on en croit les nombreux documents qui ont passé sous les yeux de la Commission, il est permis de dire que le nombre des crimes et des délits n’a pas augmenté dans les colonies anglaises depuis que l’esclavage y est aboli. « Il n’y a pas sur tous les domaines de Sa Majesté, dit le gouverneur de la Guyane, une province plus tranquille et mieux réglée que cette colonie. Cependant, sur chaque propriété, on ne compte que deux ou trois blancs. Nous n’avons, en tout, que trente gendarmes (policemen), qui, au besoin, se font assister par des affranchis, lesquels remplissent souvent, et sans rétribution, l’office de constables. Ces constables sont sans armes. Les policemen ont des épées ; mais mon intention est de la leur ôter bientôt, afin de faire disparaître la trace extérieure de l’obéissance forcée[1], »

Ceci était écrit en 1835, et à la date du 1er  septembre 1836, on trouve dans une autre dépêche du même gouverneur : « Il y a déjà trois mois que j’ai remplacé par des bâtons les épées des policemen[2]. La Guyane comptait en ce moment quatre-vingt-un mille affranchis, répandus sur un territoire immense.

L’expérience, du reste, a prouvé que la difficulté n’était pas d’empêcher les affranchis de se révolter, ni de punir ou de prévenir leurs crimes, mais de les plier à des habitudes laborieuses. Dans toutes les colonies, les commencements de l’apprentissage furent assez pénibles. Les nègres, sans se refuser au travail, travaillaient

  1. Parliamentary papers, publiés en 1836. p. 26.
  2. Parliamentary papers, publiés en 1836. p. 475.